Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 144 )

Aux faux illuminés appartient la tristesse :
La piété sincère inspire l’allégresse ;
Un visage assombri rend le péché plus grand :
C’est pécher à demi que pécher en riant ;
Laissez le désespoir au morne Janséniste ;
Le saint le plus aimable est le moins rigoriste !
On n’obtient rien de l’homme en lui demandant trop ;
Allez au petit pas et non au grand galop :
On doit craindre en son vol l’erratique comète ;
En voulant Étire l’Ange, enfin, on Eut la bête !
Le chemin le plus droit pour vous, en vérité,
C’est le chemin suivi par la majorité !
Non, le nivellement ce n’est pas l’anarchie ;
Mais c’est l’ordre parfait de la démocratie : —
Si le peuple est le maître, abrogeant toutes lois,
Nul n’étant asservi, vous serez tous des rois ! — »

 Voilà ce que j’ai dit à la foule ravie,
À la foule attachée aux plaisirs de la vie ;
Et la foule insensée, en ses instincts grossiers,
Condamne comme fous les moines singuliers !
Et le monde, en louant le chrétien sybarite,
Dénonce le dyscole et misanthrope ermite ;
Pour se justifier et disculper les grands,
Il ne semble épargner que les intempérants ;
La gravité pour lui, c’est la misanthropie ;
L’Évangile parfait n’est plus qu’une utopie ;
Le commun seul est vrai ; le reste est idéal ;
L’homme devient suspect dès qu’il n’est plus banal !
Heureux les ennemis de la vie ascétique :
Dans leur zèle indulgent et leur bon sens pratique,
Sans alarmer les cœurs au service de Dieu,
Ils savent bien tirer leur épingle du jeu !
Abaisser, aplanir, confondre, c’est leur règle ;
Au perchoir populaire il faut ramener l’aigle ;
La foule n’admet pas d’esprits récalcitrants ;
L’instinct socialiste égalise les rangs !

 Des canons de l’Église éludant l’observance,
Le Peuple avec le Prêtre agit de connivence ;
Ils ont su se comprendre et se mettre au niveau,
Et se louer l’un l’autre, en se criant : Bravo !
Le Pasteur au troupeau vendant sa pacotille,
Adultères chrétiens, ils vivent en famille !
Ils disent, à la voix d’un pâle Saint-Bernard :
« C’était bon autrefois, ce sera bon plus tard ! » —
Ils disent, revêtus de la même tunique :
« La règle du grand nombre est notre règle unique ;
Et quiconque abandonne, en son goût singulier,
L’esprit universel, devient irrégulier :
Ce siècle exclut l’excès de la folie antique ;
Il faut nourrir la chair, en sa force athlétique ;