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Au fond de son désert, autant que Saint Jérôme ;
Lorsqu’il se rappelait les voluptés de Rome,
Qu’il gémisse, assailli de fantômes impurs,
Troublant sa solitude et ses antres obscurs !
Que pour lui la Nature, en voilant tous ses charmes,
Sur son front, dans sa voix, n’ait plus que des alarmes ;
Qu’elle pousse vers lui, — terribles, menaçants, —
Ses essaims venimeux, ses monstres rugissants !
Comme un sinistre oiseau qu’emporte la tempête,
Pour y dormir en paix, n’ayant plus de retraite,
Qu’il sache qu’à la masse il vaut mieux se mêler
Et qu’il faut être saint pour pouvoir s’isoler ! —

 Par mon esprit d’orgueil et d’activé énergie,
Armé de tous les bras de l’occulte magie,
Exaltant l’Amérique et son peuple nouveau,
Je fondais pour le mal le règne le plus beau ;
Sous l’aspect déguisé d’un faux christianisme,
J’avais entretenu la nuit du paganisme ;
La chair était l’idole et l’or était le dieu,
Et je me sentais maître et pontife en tout lieu !
C’est en vain qu’est venu l’Apôtre de l’Irlande
Prêcher la tempérance aux fils de cette lande :
La matière a choisi la vapeur en son vol,
Et l’homme pour vapeur absorbe l’alcohol !
L’esprit vertigineux c’est l’esprit qui l’anime ;
Il court, en chancelant, sur le bord de l’abîme !
Ah ! cet esprit me plaît ; ce siècle suit ma loi ;
Il me reste fidèle ; il est digne de moi !
C’est le siècle bruyant de l’industrie active,
Roulant vers mon enfer en sa locomotive !
Aux hommes d’action, il faut, pour stimulant,
Les terrestres honneurs, la louange et l’argent : —
Mais de tout ce qu’ils font, en leur vaine importance,
Qu’elle sera réduite, un jour, la récompense !
Il faudra retrancher tout ce qu’ils ont reçu,
Et que leur triste orgueil alors sera déçu !
Donc, j’entretiens en eux une folle espérance,
Et j’augmente à leurs yeux leur active importance ;
Et quand il est trop tard, ils voient l’inanité
Des efforts applaudis d’un travail agité :
Mais ils ont des humains obtenu les louanges,
Et, sur la fin du jour, tremblent devant les Anges !

 Le peuple Américain, c’est le condor géant ;
Il brise tout obstacle en son vol effrayant !
Moi, j’ai compris ce peuple : — Enfant enthousiaste,
Il veut tout accomplir sur une échelle vaste !
De son jeune génie excitant tout l’élan,
À son vol j’ai donné l’aile de l’ouragan !