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Et tu ne peux savoir qu’aux lointains de mon âme
Ce nom vient d’éveiller, en innombrable gamme,
Plus d’échos que jamais tu n’en déterminas
Quand tu poussais, le soir, tes longs irrinzinas !


Hernani !


Hernani ! Je frissonne… Oh ! comme il a, ce rustre,
Dit ce nom sans savoir que ce nom est illustre !
La Victoire pour lui n’habite pas ce nom !
Est-ce que les beaux vers font pousser l’herbe ? Non,
Et le soc en ouvrant la terre qu’il défriche
Ne peut faire jaillir un tronçon d’hémistiche !
Ce nom n’est que le nom d’un pur triomphe d’art,
Il n’est brodé que sur l’invisible étendard,
Et rien pour ce passant grossier ne le consacre.
Ah ! si c’était le nom de quelque grand massacre,
Si ce Basque, en piochant, faisait sous son sabot
Rouler parfois — énorme et sinistre grelot —
Une tête de mort au large dans un casque
Et qui le fait sonner en y tournant, ce Basque
Prononcerait ce nom avec respect, tout bas ;
Car on est fier d’un champ où le dieu des combats
Vint faucher avant vous au son joyeux des fifres
Et sur lequel deux Rois ont enlacé leurs chiffres
Tracés en ossements d’hommes et de chevaux ;
Et Wagram sait qu’il est Wagram ; et Roncevaux
Sait qu’il est Roncevaux ; Cannes sait qu’elle est Cannes ;
Mais, laissant se remplir de fleurs ses barbacanes,
Et s’étant au soleil sur la route endormi,
Hernani n’a pas su qu’il était Hernani !