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— Du moins, aurais-je voulu me marier par amour ! riposta le jeune homme avec un soupir.

— Sans doute ! Mais l’amour, cher garçon, n’est pas un sentiment si libre, si insoumis qu’on nous le dépeint. Il participe plus de l’amitié que tu ne le crois, et combien j’en ai vu qui pensaient ne jamais aimer leur fiancée et l’adoraient après quelques semaines d’intimité. Celle que je voudrais te voir épouser est bonne, dévouée, aimante… et charmante ! J’ai l’entière persuasion que tu t’éprendras d’elle ! »

Guy ne put s’empêcher de sourire. Il revoyait, dans le souvenir, le minois garçonnier, l’allure gauche de la petite fille qu’on lui destinait. Avec cela mal fagotée, capricieuse, peu sociable. Il avait de bons yeux pour ceux qu’il aimait, l’oncle !

Le vieillard parut deviner ce qui se passait dans la tête du jeune homme :

« Tu ne l’as vue qu’une seule fois, dans un moment ingrat… un moment de croissance. Tu ne peux te figurer comme elle a changé depuis cette époque. Aussi élégante qu’elle était chiffon, aussi égale d’humeur qu’elle était fantasque…

— Je ne dis pas non, répliqua Guy d’un ton incrédule… toujours est-il que je n’ai aucune envie de me marier… »

Et, passant son bras sous celui de M. Darville, câlin :

« Je suis si bien avec toi ! Ma vie est si libre, si douce, si exempte de soucis ! Tu as su me répartir délicieusement le travail et la distraction… Pourquoi détruire ton œuvre, toi qui as réussi à créer cette chose chimérique, un homme heureux ? Je suis ton œuvre, presque ton poème… »

Un attendrissement passa sur la face de l’oncle. Il regarda son neveu avec douceur :

« Tu es un excellent être, mon Guy… et pour rien au monde je ne veux que tu te sacrifies !… Je ne te ferai rien faire contre ta volonté ni contre ton goût… mais en re-