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de purin de porc. Cette humanité respirait une force antique, rongée par l’alcool, barrée de syphilis, entamée de tuberculose, et elle tendait au repos, attentive à ne pas s’accroître, pleine de recettes pour déjouer les embûches, les violences et les vertiges de l’accouplement.

Rougemont ne l’estimait point. Il détestait son astuce, son ardeur au gain, son ivrognerie, son humeur chicanière, il la sentait incurablement individualiste, ennemie du partage et même de l’équité. Il la prêchait vaille que vaille.

En contribuant à détruire l’armée, elle ferait sa part de la brèche où passerait le communisme. Si elle n’était pas prête le jour où les villes raseraient la citadelle bourgeoise, on la plierait de force.


Ainsi qu’il faisait partout, François gagnait les âmes en se prêtant aux confidences. Il créait un noyau de disciples, auxquels il vantait leur propre intelligence et le rôle qu’ils allaient remplir. Il y eut d’abord le vieux Bourguel, renard à la langue bien huilée, qui exécrait d’autant plus le service militaire, qu’il avait dû marcher en 1870. Jamais il ne put comprendre pourquoi on le menait à travers des terres inconnues, mêlé à des troupeaux d’hommes ahuris.

Nourri au hasard des rencontres, bleui de froid ou pourri d’humidité, avec, de-ci de-là, un tintamarre de canons et de mousqueterie sur des champs, des mares, des fourrés, des mamelons, il ne se souvenait pas seulement d’avoir aperçu un Prussien :

— C’était toujours pour fiche le camp, concluait-il, et pour aller claquer de faim ailleurs. On ne savait jamais l’endroit où no z’allait… ni l’s’hommes, ni l’s’officiers. On marchait su’ la terre ben détrempée ou su’ la neige, on était boueux, on était claquedent, on était miteux. Ah ! man garchon que no’ s’disait,