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 Ceſſe tes pleurs mon liure, il n’eſt pas ordonné
Du destin, que moi vif tu reçoiues ta gloire,
Auant que paßé i’aye outre la riue noire,
L’honneur que l’on te doit ne te ſera donné.

Apres mile ans ie voi que quelcun estonné
En mes vers, de biê loin viêdra de mon Loir boire,
Et voiant mon pais à peine voudra croire
Que d’un ſi petit champ, tel poëte ſoit né.

Pren, mon liure, pren cœur, la vertu precieuſe
» De l’homme, quand il vit est touiours odieuſe:
» Mais apres qu’il est mort chacun le pêſe un Dieu.

» La rancueur nuit toujours a ceus qui ſont en vie,
» Sur les vertus d’un mort elle n’a plus de lieu,
» Et la posterité rend l’honneur ſans enuie.

Elegie a Cassandre

Mon œil, mon cœur, ma Caſſandre, ma vie,
He! qu’a bon droit tu dois porter d’enuie
A ce grand Roi, qui ne veut plus ſoufrir
Qu’a mes chanſons ton nom ſe vienne ofrir.
C’est lui qui veut qu’en trompette i’échange
Mon Luc, afin d’entonner ſa louange,
Non de lui ſeul, mais de tous ſes aïeus
Qui ſont iſſus de la race des Dieus.

Ie le ferai puis qu’il me le commande,
Car d’un tel Roi la puiſſance est ſi grande,
Que tant s’en faut qu’on la puiſſe euiter,
Qu’vn cam armé n'y pourroit reſiſter.