Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

      L’un finement trompe une ville forte,
L’autre coiment[1] une maison séduit :
L’un le butin, l’autre le gain poursuit,
L’un deshonneur, l’autre dommage apporte ;

      L’un couche à terre, et l’autre gît souvent
Devant un huis à la froideur du vent ;
L’un boit mainte eau, l’autre boit mainte larme.

      Mars va tout seul, les Amours vont tous seuls[2] :
Qui voudra donc ne languir paresseux,
Soit l’un ou l’autre, amoureux ou gendarme.


  1. Coiment : doucement, sans bruit. (Se tenir coi.)
  2. La rime indique que le mot seuls se doit prononcer seux.


XLV


      Que dites-vous, que faites-vous, mignonne ?
Que songez-vous ? pensez-vous point en moi ?
Avez-vous point souci de mon émoi,
Comme de vous le souci m’époinçonne[1] ?

      De votre amour tout le cœur me bouillonne,
Devant mes yeux sans cesse je vous vois,
Je vous entends, absente je vous ois[2],
Et mon penser d’autre amour ne résonne.

      J’ai vos beautés, vos grâces et vos yeux
Gravés en moi, les places et les lieux,
Où je vous vis danser, parler et rire.

      Je vous tiens mienne, et si ne suis pas mien.
Vous êtes seule en qui mon cœur respire,
Mon œil, mon sang, mon malheur et mon bien.


  1. Époinçonne : pique, émeut.
  2. Ois : entends.