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LES AMOURS DIVERSES.
IV.


 
Que me servent mes vers et les sons de ma lyre,
Quand nuit et jour je change et de mœurs et de peau
Pour aimer sottement un visage si beau ?
Que l’homme est malheureux qui pour l’amour soupire !

Je pleure, je me deuls, je suis plein de martyre,
Je fais mille sonnets, je me romps le cerveau,
Et ne suis point aimé : un amoureux nouveau
Gagne toujours ma place, et je ne l’ose dire.

Ma dame en toute ruse a l’esprit bien appris,
Qui toujours cherche un autre après qu’elle m’a pris.
Quand d’elle je brûlais, son feu devenait moindre[1] :

Mais ores que je feins n’être plus enflammé,
Elle brûle de moi. Pour être bien aimé
Il faut aimer bien peu, beaucoup promettre et feindre.


V.


 
Je faisais ces sonnets en l’antre Piéride,
Quand on vit les Français sous les armes suer,
Quand on vit tout le peuple en fureur se ruer,
Quand Bellone sanglante allait devant pour guide ;

Quand, en lieu de la loi, le vice, l’homicide,
L’impudence, le meurtre, et se savoir muer[2]
En Glauque et en Protée, et l’état remuer,

  1. Moindre, pour rimer avec feindre, devait se prononcer maindre.
  2. Muer : changer.