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IIII

Ah longues nuicts d’hyver, de ma vie bourrelles,
Donnez moy patience, et me laissez dormir :
Vostre nom seulement et suer et fremir
Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles.
Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes
Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir
Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,
Souffrant comme Ixion des peines eternelles.
Vieille ombre de la terre, ainçois l’ombre d’enfer,
Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer,
Me consumant au lict, navré de mille pointes :
Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort :
Ha mort, le port commun, des hommes le confort,
Viens enterrer mes maux je t’en prie à mains jointes.


V

Quoy mon Ame, dors-tu engourdie en ta masse ?
La trompette a sonné, serre bagage, et va
Le chemin deserté que Jesus Christ trouva,
Quand tout mouillé de sang racheta nostre race.
C’est un chemin fascheux, borné de peu d’espace,
Tracé de peu de gens, que la ronce pava,
Où le chardon poignant ses testes esleva :
Pren courage pourtant, et ne quitte la place.
N’appose point la main à la mansine, apres
Pour ficher ta charrue au milieu des guerets,
Retournant coup sur coup en arriere ta veûe :
Il ne faut commencer, ou du tout s’employer :
Il ne faut point mener, puis laisser la charrue.
Qui laisse son mestier, n’est digne du loyer.