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Advienne le destin comme il pourra venir,
Il ne peut de voz yeux m’oster le souvenir :
Il faudrait m’arracher le cœur et la pensée.


LIII

Amour, je ne me plains de l’orgueil endurcy,
Ny de la cruauté de ma jeune Lucresse,
Ny comme sans secours languir elle me laisse :
Je me plains de sa main et de son godmicy.
C’est un gros instrument qui se fait pres d’icy,
Dont chaste elle corrompt toute nuict sa jeunesse :
Voilà contre l’Amour sa prudente finesse,
Voilà comme elle trompe un amoureux soucy.
Aussi pour recompense une haleine puante,
Une glaire espessie entre les draps gluante,
Un œil have et battu, un teint palle et desfait,
Monstrent qu’un faux plaisir toute nuict la possede.
Il vaut mieux estre Phryne et Laïs tout à fait,
Que se feindre Portie avec un tel remede.


LIIII

Amour, je pren congé de ta menteuse escole
Où j’ay perdu l’esprit, la raison et le sens,
Où je me suis trompé, où j’ay gasté mes ans,
Où j’ay mal employé ma jeunesse trop folle.
Malheureux qui se fie en un enfant qui volle,
Qui a l’esprit soudain, les effects inconstans,
Qui moissonne noz fleurs avant nostre printens,
Qui nous paist de creance et d’un songe frivole.