Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/232

Cette page n’a pas encore été corrigée

Quand elle eut son espargne en son moule donnée,
La fist fondre : et versant ce qu’elle avoit de beau,
Miracle nous fist naistre une belle Isabeau,
Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face,
De corps belle et d’esprit, des trois Graces la grace.
Le Printemps estonné, qui si belle la voit,
De vergongne la fiévre en son cœur il avoit :
Tout le sang luy bouillonne au plus creux de ses veines :
Il fist de ses deux yeux saillir mille fonteines,
Souspirs dessus souspirs comme feu luy sortoient,
Ses muscles et ses nerfs en son corps luy battoient :
Il devint en jaunisse, et d’une obscure nue
La face se voila pour n’estre plus cognue.
Et quoy ? disoit ce Dieu de honte, et furieux,
Ayant la honte au front, et les larmes aux yeux,
Je ne sers plus de rien, et ma beauté premiere
D’autre beauté veincue a perdu sa lumiere :
Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps
Font aux hommes sans moy tous les jours un Printemps :
Et mesme le Soleil plus longuement retarde
Ses chevaux sur la terre, afin qu’il la regarde :
Il ne veut qu’à grand peine entrer dedans la mer,
Et se faisant plus beau fait semblant de l’aimer.
Elle m’a desrobé mes graces les plus belles,
Mes œillets et mes liz, et mes roses nouvelles,
Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveauté,
Et diriez en voyant une telle beauté,
Que tout son corps ressemble une belle prairie
De cent mille couleurs au mois d’Avril fleurie.
Bref, elle est toute belle, et rien je n’apperçoy
Qui la puisse egaler, seule semblable à soy.