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Tu as seule emporté le bien,
Ne me laissant que la misere.
En ton âge le plus gaillard
Tu as seul laissé ton Ronsard,
Dans le ciel trop tost retournée,
Perdant beauté, grace, et couleur,
Tout ainsi qu’une belle fleur
Qui ne vit qu’une matinée.
En mourant tu m’as sceu fermer
Si bien tout argument d’aimer,
Et toute nouvelle entreprise,
Que rien à mon gré je ne voy,
Et tout cela qui n’est pas toy,
Me desplait, et je le mesprise.
Si tu veux, Amour, que je sois
Encore un coup dessous tes lois,
M’ordonnant un nouveau service,
Il te fault sous la terre aller
Flatter Pluton, et r’appeller
En lumiere mon Eurydice :
Ou bien va-t’en là hault crier
A la Nature, et la prier
D’en faire une aussi admirable :
Mais j’ay grand peur qu’elle rompit
Le moule, alors qu’elle la fit,
Pour n’en tracer plus de semblable.
Refay moy voir deux yeux pareils
Aux siens, qui m’estoient deux soleils,
Et m’ardoient d’une flame extréme,
Où tu soulois tendre tes laqs,
Tes hamesons, et tes apas,
Où s’engluoit la raison mèsme.