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Comme celuy qui n’eust pensé
Que morte fust une Deesse.
Quand son ame au corps s’attachoit,
Rien, tant fust dur, ne me faschoit,
Ny destin, ny rude innuance :
Menaces, embusches, dangers,
Villes, et peuples estrangers
M’estoient doux pour sa souvenance.
En quelque part que je vivois,
Tousjours en mes yeux je l’avois,
Transformé du tout en la belle.
Si bien Amour à coups de trait
Au cœur m’engrava son portrait,
Que mon tout n’estoit sinon qu’elle.
Esperant luy conter un jour
L’impatience de l’Amour
Qui m’a fait des peines sans nombre,
La mort soudaine m’a deceu :
Pour le vray le faux j’ay receu,
Et pour le corps seulement l’ombre.
Ciel, que tu es malicieux !
Qui eust pensé que ces beaux yeux
Qui me faisoient si douce guerre,
Ces mains, ceste bouche, et ce front
Qui prindrent mon cœur, et qui l’ont,
Ne fussent maintenant que terre ?
Hélas ! où est ce doux parler,
Ce voir, cest ouyr, cest aller,
Ce ris qui me faisoit apprendre
Que c’est qu’aimer ? hà, doux refus !
Hà ! doux desdains, vous n’estes plus,
Vous n’estes plus qu’un peu de cendre.