Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

14 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

génie se délivre de ses souffrances, jetteront le trouble dont il s'est soulagé, son désordre maladif, dans les cœurs effarés, mal faits pour le comprendre. Elles ne feront de bien qu'aux âmes de sa taille, qui reconnaîtront en elles les angoisses dont elles souf- frent, et dont elles ne pouvaient se délivrer (1). Mais ceux qui ignoraient ces nobles douleurs en reçoivent l'atteinte sans savoir d'où elle vient, et trop faibles pour l'avoir jamais pu concevoir d'eux-mêmes, ils en restent accablés comme par un mauvais rêve. Le théâtre rend le très grand service d'objectiver ces souf- frances, de les arracher du cœur de l'artiste, et de n'en présenter au peuple que le reflet brûlant encore, mais lointain. Il endigue les passions dans un cadre précis ; leurs fureurs se dévorent dans les personnages mêmes en dehors de nos âmes. Nul doute qu'un Tristan ne puisse avoir encore de terribles effets, destructifs et dissolvants sur la masse du public ; mais on ose à peine penser à ce qu'il serait sans l'action extérieure, réduit à la seule sym- phonie ; c'est pourtant de ce souffle de vertige et de mort que notre génération se nourrit aux concerts depuis dix ans. Une pareille épreuve est bien faite pour rassurer sur les dangers de la musique.

�� ��Dans le drame lyrique, trois liens rattachent la musique à l'ac- tion : la déclamation chantée, l'expression des sentiments, la description des faits extérieurs.

La déclamation repose sur la musique naturelle de la parole, les inflexions de la voix, ses modulations instinctives. Les artistes florentins du commencement du dix-septième siècle cherchèrent à en dégager les lois, du brouillard un peu gris de la mélopée parlée, trop rapide et trop intellectuelle , à donner tout son déve- loppement à l'élément sensible contenu dans le mot, à transformer en art la mécanique du langage. Dans cette déclamation, les élé- ments de la phrase acquièrent une bien plus grande valeur que dans le langage ordinaire, une individualité propre, distincte de

��(1) Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir

Quelque plaie où le feu désire qu'on l'attise ; Parfois un mot , le nom de ce qui fait souffrir, Tombe comme une larme à la place précise, Où le cœur méconnu l'attendait pour guérir.

��(Sully-Prudhomnie, Vaines tendresses.)

�� �