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de l'union de la musique et du drame. 13

princière, il a d'ailleurs longtemps gardé, surtout en France et en Italie, ce caractère sensuel et naturellement immoral de tout luxe inutile. Dans les pays où il repose sur des nécessités plus profondes du cœur, en Allemagne où la musique naît de la poésie populaire, l'opéra a su prendre et maintenir des caractères tout différents de grandeur d'âme et de santé morale. La colère de Boileau (1) tomberait devant Fidelio de Beethoven, Freyschùtz de Weber ou le théâtre de Gluck. Il n'y a là rien qui ne s'adresse au plus noble de l'âme, à sa pitié, à son courage, à l'amour dans ce qu'il a de plus épuré et de plus héroïque. On ne saurait donc faire porter au drame lyrique le blâme encouru par la plupart de ses maîtres. Ce sont de terribles puissances qu'ils ont entre les mains; en elles-mêmes elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises; à vrai dire, elles sont bonnes toujours, puisque ce sont des forces pour l'action, mauvaises seulement par l'usage qu'on en fait.

J'ajouterai que le drame musical, à certains égards plus fac- tice, moins véritablement humain que la musique pure, a moins de dangers qu'elle. Dans le plus violent de ses romans, Tolstoy a montré quels ravages pouvaient faire dans les âmes médiocres les sublimes passions du plus noble des musiciens (2). Ces forces obscures et ignorées, ce déchaînement de fureurs, où le

(1) Il est curieux de voir attribuer par Boileau, à la musique de Lully, qui nous paraît si sage, si calme, si bien ordonnée, une puissance démoralisa- trice analogue à celle que nous prêtons à notre art contemporain.

Par toi-même bientôt conduite à l'opéra ,

De quel air penses-tu que ta sainte verra

D'un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse ,

Ces danses, ces héros à voix luxurieuse ;

Entendra ces discours sur l'amour seul roulants,

Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,

Saura d'eux qu'à l'Amour, comme au seul dieu suprême

On doit immoler tout, jusqu'à la vertu même;

Qu'on ne saurait trop tôt se laisser enflammer ;

Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer;

Et tous ces lieux communs de morale lubrique.

Que Lulli réchauffa des sons de sa musique !

Mais de quels mouvements, dans son cœur excités ,

Seutira-t-elle alors tous ses sens agités !

Je ne te réponds pas qu'au retour, moins timide ,

Digne écolière enfin d'Angélique et d'Armide,

Elle n'aille à l'instant, pleine de ces doux sons ,

Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.

{Satire des femmes.)

(2) La Sonate à Kreuzer. — La question a une portée plus haute encore. Toute pensée sublime qui tombe dans un cœur trop faible pour la recevoir en paix, risque de l'affoler et de le pervertir, en brisant l'équilibre de sa nature.

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