LES ESSAIS D'OPÉRA POPULAIRE EN ITALIE. 181
et les Golleone, les grandes œuvres et les grandes actions. Qu'est devenu l'héroïsme et l'idéal de la glorieuse époque? Quelle trace eu reste-t-il dans l'art dramatique et musical du dix-septième siècle? Je vois bien l'homme du peuple; mais où est le peuple? Chacun trouve son plaisir aux intrigues bouffonnes, et rit de son voisin qu'il croit y reconnaître. Mais qu'y a-t-il là pour unir ces bourgeois et ces artisans égoïstes, intelligents et grossiers, dans une même pensée, où passe l'âme de tous?
C'est à peine si nous en trouvons quelque effort instinctif dans l'oratorio romain, où les âmes s'associent en des espoirs et des soucis semblables ; dans l'opéra historique de Venise, qui évoque avec un reste d'enthousiasme pompeux, les grandeurs passées de de la patrie ; enfin dans quelques tentatives des provinces, où les cœurs restés plus longtemps à l'abri du scepticisme, ne peuvent séparer les spectacles artistiques, de leur vie nationale. C'est ainsi qu'à Lucques, les Tasche ou Comices (1), réunis tous les trois ans pour élire les magistrats, s'entourent de musique et de re- présentations solennelles, qui rehaussent la majesté de la céré- monie, et impriment dans le peuple un sentiment presque reli- gieux de l'Etat souverain.
��(1) La première Tasca connue est de mars 1431. On n'a une mention cer- taine de musique vocale et instrumentale exécutée à ces fêtes, qu'à partir de l'année 1636; on y chanta du Valerio Guami. Les fêtes duraient trois jours de suite, en décembre. Dans les palais somptueusement ornés de tableaux, de statues, d'orfèvreries, on donnait avant l'élection, des con- certs et des spectacles composés tout exprès par les premiers musiciens de la ville. Les sujets étaient tantôt mythologiques, tantôt patriotiques. Je noterai parmi ces derniers : Il vessillo délia liberta, 1666; VAmor délia Palria, 1675; La liberta gelosa di se stessa , 1684; et un grand nombre de sujets romains : Fabio vincilor di se stesso ; Decio sacrificato alla patria; Marc Antonio; Tiberio ; Bruto e Cassio ; Manlio Torquato, etc., où le spec- tacle des héros et des tyrans était tour à tour offert au peuple dans l'éter- nelle grandeur de la Rome passée.
En 1687, on prit l'habitude de faire chanter, pendant les trois journées, un seul sujet en trois parties, un vrai drame, ordinairement historique, une Trilogie. Le gonfalonier et les anciens présidaient au spectacle, et un des jeunes avocats ouvrait les fêtes par un discours politique d'à-propos.
Il faut noter aussi, dans cette ville si longtemps marquée de l'esprit an- cien, le triomphe de l'oratorio. La Congrégation des Anges gardiens, de Bonaventura Guasparini, donne tous les carnavals, depuis 1638, des repré- sentations au peuple. Elles ne cessèrent jamais. A la fin du siècle, en vingt et une années, la moyenne est de sept oratorios par an, embrassant tous les sujets, même modernes.
On peut consulter sur Lucques l'excellent livre de l'abbé Nerici Luigi : Btoria délia Musica in Lucca. Lucques, 1880, 460 pages.
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