que la civilisation, au lieu de la combler, voile du brouillard de ses mensonges, et sur laquelle flotte la fade odeur de boucherie… Ce souffle infect acheva de dégriser Clerambault. Il arracha avec horreur la peau de bête, dont il était la proie.
Ah ! comme elle était lourde ! Elle est à la fois chaude, soyeuse, belle, puante, et sanglante. Elle est faite des instincts les plus bas et des plus hautes illusions. Aimer, se donner à tous, se sacrifier pour tous, n’être qu’un corps et qu’une âme, la Patrie seule vivante !… Mais qu’est-ce donc que cette Patrie, cette seule vie, à laquelle on sacrifie non seulement sa vie, toutes les vies, mais sa conscience, toutes les consciences ? Et qu’est-ce que cet amour aveugle, dont l’autre face de Janus aux yeux crevés est une aveugle haine ?…
«… L’on a ôté mal à propos le nom de la raison à l’amour, dit Pascal, et on les a opposés sans un bon fondement, car l’amour et la raison n’est qu’une même chose. C’est une précipitation de pensées qui se porte d’un côté sans bien examiner tout ; mais c’est toujours une raison… »
Eh bien, examinons tout ! — Mais n’est-ce pas que cet amour, justement, n’est, pour une grande part, que la peur d’examiner tout, l’enfant qui, pour ne point voir l’ombre qui passe sur le mur, se renfonce la tête sous ses draps ?…
La Patrie ? Un temple hindou : des hommes, des monstres et des dieux. Qu’est-elle ? La terre maternelle ? La terre entière est notre mère à tous. La