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inquiet, ne pouvant supporter qu’une douzaine d’esprits libres s’assemblent pour le juger ! Ils n’avaient pourtant pas l’allure de conspirateurs. Ils faisaient tout le possible pour être persécutés ; mais leur activité se bornait à des mots. Qu’auraient-ils pu faire d’autre ? Ils étaient séparés de la masse de leurs compagnons de pensée, que pompait la machine de la guerre, qu’engloutissait l’armée, et qu’elle ne restituait que quand ils étaient hors d’usage. De la jeunesse d’Europe, que restait-il, à l’arrière ? A part les embusqués, qui se prêtaient trop souvent aux plus tristes besognes pour faire battre les autres, afin qu’on oubliât qu’ils ne se battaient pas, les représentants — rari nantes — des jeunes générations, restés dans la vie civile, étaient des réformés pour graves raisons de santé, auxquels étaient venues se joindre quelques épaves de la guerre, comme Moreau. En ces corps mutilés ou minés, les âmes étaient des chandelles allumées dans une chambre aux vitres cassées ; elles se consumaient, se tordaient, et fumaient ; un souffle menaçait de les éteindre. Mais habituées à ne pas compter avec la vie, elles n’en étaient que plus ardentes.

Elles avaient des sautes brusques du pessimisme extrême à l’optimisme extrême. Ces oscillations violentes du baromètre ne correspondaient pas toujours à la courbe des événements. Le pessimisme ne s’expliquait que trop. L’optimisme était plus étonnant. On eût été bien embarrassé pour en donner des raisons. Ils étaient une poignée, sans action, sans