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signifiait quelque chose ». Un voyage à l’étranger, — du 29 janvier au 30 juillet 1857, — en France, en Suisse et en Allemagne, fit s’écrouler cette foi.[1] À Paris, le 6 avril 1857, le spectacle d’une exécution capitale « lui montra le néant de la superstition du progrès… ».

Quand je vis la tête se détacher du corps et tomber dans le panier, je compris, par toutes les forces de mon être, qu’aucune théorie sur la raison de l’ordre existant ne pouvait justifier un tel acte. Si même tous les hommes de l’univers, s’appuyant sur quelque théorie, trouvaient cela nécessaire, je saurais, moi, que c’est mal : car ce n’est pas ce que disent et font les hommes qui décide de ce qui est bien ou mal, mais mon cœur.[2]

À Lucerne, le 7 juillet 1857, la vue d’un petit chanteur ambulant, à qui les riches Anglais, hôtes du Schweizerhof, refusaient l’aumône, lui fait inscrire dans son Journal du prince D. Nekhludov[3] son mépris pour toutes les illusions chères aux libéraux, pour ces gens « qui tracent des lignes imaginaires sur la mer du bien et du mal… ».

Pour eux la civilisation, c’est le bien ; la barbarie, le mal ; la liberté, le bien ; l’esclavage, le mal. Et

  1. Voir sur cette période ses charmantes lettres, si juvéniles à sa jeune tante la comtesse Alexandra A. Tolstoï (Briefwechsel mit der Gräfin A. A. Tolstoï, publ. par Ludwig Berndl, nouvelle édition augmentée, Rotapfelverlag, Zürich, 1926.
  2. Confessions.
  3. Journal du prince D. Nekhludov, Lucerne, t. v. des Œuvres complètes.