Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.

J’ai été amené à une grande idée, à la réalisation de laquelle je me sens capable de consacrer toute ma vie. Cette idée, c’est la fondation d’une nouvelle religion, la religion du Christ, mais purifiée des dogmes et des mystères… Agir en claire conscience, afin d’unir les hommes par la religion[1].

Ce sera le programme de sa vieillesse.

Cependant, pour se distraire des spectacles qui l’entouraient, il s’était remis à écrire. Comment put-il trouver la liberté d’esprit nécessaire pour composer, sous la grêle d’obus, la troisième partie de ses Souvenirs : Jeunesse ? Le livre est chaotique, et l’on peut attribuer aux conditions dans lesquelles il prit naissance son désordre et parfois une certaine sécheresse d’analyses abstraites, avec des divisions et des subdivisions à la manière de Stendhal[2]. Mais on admire sa calme pénétration du fouillis de pensées et de rêves confus qui se pressent dans un jeune cerveau. L’œuvre est d’une rare franchise avec soi-même. Et, par instants, que de fraîcheur poétique, dans le joli tableau du printemps à la ville, dans le récit de la confession et de la course au couvent pour le péché oublié !

  1. Journal, trad. J.-W. Bienstock.
  2. On retrouve aussi cette manière dans la Coupe en forêt, terminée à la même époque. Par exemple : « Il y a trois sortes d’amour : 1o l’amour esthétique ; 2o l’amour dévoué ; 3o l’amour actif, etc. » (Jeunesse.) — Ou bien : « Il y a trois sortes de soldats : 1o les soumis ; 2o les autoritaires ; 3o les fanfarons, — qui se subdivisent eux-mêmes en : a, soumis de sang-froid ; b, soumis empressés ; c, soumis qui boivent, etc. ». (Coupe en forêt.)