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Mais il n’est pas moins véridique pour ceux qu’il aime ; et les êtres de la nature, la belle Cosaque et ses amis, sont vus en pleine lumière, avec leur égoïsme, leur cupidité, leur fourberie, leurs vices.

Surtout, le Caucase révélait à Tolstoï les profondeurs religieuses de son être. On ne saurait assez mettre en lumière cette première Annonciation de l’Esprit de Vérité. Lui-même s’en est confié, sous le sceau du secret, à sa confidente de jeunesse, sa jeune tante Alexandra Andrejewna Tolstoï. Dans une lettre du 3 mai 1859, il lui fait sa « Profession de foi »[1] :

« Enfant, dit-il, je croyais avec passion et sentimentalité, sans penser. Vers quatorze ans, je commençai à réfléchir sur la vie ; et, la religion ne s’accordant pas avec mes théories, je considérai comme un mérite de la détruire… Tout était clair pour moi, logique, bien distribué en des compartiments ; et pour la religion, il n’y avait aucune place… Puis, vint le temps où la vie ne m’offrait plus aucun secret, mais où elle commença à perdre tout son sens. En ce temps — c’était au Caucase — j’étais solitaire et malheureux. Je tendis toutes les forces de mon esprit, comme on ne peut le faire qu’une fois en sa vie… C’était un temps de martyre et de félicité. Jamais, ni avant, ni après, je n’ai atteint à une telle hauteur de pensée, je n’ai vu aussi profond que pen-

  1. En français dans le texte.