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la prédication de Tolstoy pour la Non-Violence, « mêlée aux enseignements des sages de l’Inde, produira peut-être en notre temps de nouveaux Messies ».

C’était de l’Inde en effet que devait sortir le Verbe agissant, dont Tolstoy fut l’annonciateur.

L’Inde était, en cette fin du xixe siècle et au début du XXe, en plein réveil. L’Europe ne connaît pas encore, — à part une élite de savants bien renseignés, qui ne sont pas très pressés de dispenser leur science au commun des mortels et se cantonnent volontiers dans leur coque linguistique, où ils se sentent à huis clos[1] — l’Europe est encore loin d’imaginer la prodigieuse résurrection du génie indien qui s’annonça dès les années 1830[2] et resplendit vers 1900. Ce fut une floraison éclatante et soudaine dans tous les champs de l’esprit. Dans l’art, dans la science, dans la pensée. Le seul nom de Rabindranath Tagore a, détaché de la constellation de sa glorieuse famille, rayonné sur le monde. Presque en même temps, le Vedantisme était rénové par le fondateur de l’Arya-Samâj (1875), Dayananda Sarasvati, celui qu’on a nommé le « Luther hindou » ; et Keshub Chunder Sen faisait du Brahmâ-Samâj un instrument de réformes sociales passionnées et un terrain de rapprochement entre la pensée chrétienne et la pensée d’Orient. Mais, surtout, le firmament religieux de l’Inde s’illuminait de deux étoiles de première grandeur, subitement apparues, — ou réapparues après des siècles, pour parler selon

  1. À quelques exceptions près, au premier rang desquelles je nomme Max Müller, grand esprit et grand cœur, que vénérait Vivekananda.
  2. En 1828, l’un des plus vastes esprits de notre temps, Râjâ Râm Mohan Roy, fonda la communauté de Brahmâ Samâj, qui rassemblait toutes les religions du monde en un système religieux, basé sur la croyance en un seul Dieu. Une telle pensée, nécessairement limitée d’abord à une élite, a eu, depuis, des échos profonds dans l’âme de grands mystiques du Bengale ; et, par eux, elle pénètre peu à peu dans les masses.