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Mais Mahomet n’est qu’un homme, comme le Christ. Pour que le Mahométisme ainsi que le Christianisme deviennent une religion juste, il faudra qu’ils renoncent à la croyance aveugle en un homme et un livre ; qu’ils admettent seulement ce qui est en accord avec la conscience et la raison de tous les hommes. — Même sous la forme mesurée dont il revêt sa pensée, Tolstoy s’inquiète toujours de ne pas froisser la foi de celui qui lui parle :

« Pardonnez si j’ai dû vous blesser. On ne peut pas dire la vérité à moitié. On doit la dire toute, ou pas du tout[1]. »

Inutile d’ajouter qu’il ne convainc point ses interlocuteurs.

Du moins, il en trouve d’autres, mahométans éclairés, libéraux, qui sympathisent pleinement avec lui : — au premier rang, le célèbre grand-mufti d’Égypte, le cheikh réformateur Mohammed Abdou[2], qui lui adresse, du Caire, en 1904 (le 8 avril), une noble lettre, le félicitant de l’excommunication dont il était l’objet : car l’épreuve est la divine récompense pour les élus. Il dit que la lumière de Tolstoy réchauffe et rassemble les chercheurs de vérité, que leurs cœurs sont dans l’attente de tout ce qu’il écrit. Tolstoy répond, avec une chaude cordialité. — Il reçoit aussi l’hommage de l’ambassadeur de Perse à Constantinople, prince Mirza Riza Chan, délégué à la première conférence de la Paix, à La Haye, en 1901.

Mais il est surtout attiré par le mouvement Béhaïste (ou Bâbiste), dont il entretient constamment ses correspondants. Il entre en relations personnelles avec certains Béhaïstes, comme le mystérieux Gabriel Sacy, qui lui écrit d’Égypte (1901), et qui aurait été, dit-on, un Arabe de naissance,

  1. À Woissow, 11 novembre 1902.
  2. Cette grande personnalité, dont l’influence réformatrice s’est exercée sur l’université d’Al Azhar, et, par delà, sur tout l’Islam Sunnite, où il représentait le modernisme, a été récemment étudiée par B. Michel et le Cheikh Moustapha Abdel Razik, qui ont traduit et publié en français son principal traité : Rissalat al Tawid, — Exposé de la religion musulmane, librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1925.