Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que s’il se retournait assez vite, il pourrait voir face à face le néant. Il s’analyse, il s’analyse….

Je ne pensais plus à une chose, je pensais que je pensais à une chose…[1]

Cette analyse perpétuelle, cette machine à raisonner, qui tournait dans le vide, lui restera comme une habitude dangereuse, qui, dit-il, « lui nuit souvent dans la vie », mais où son art a puisé des ressources inouïes[2].

À ce jeu, il avait perdu toutes ses convictions : il le pensait, du moins. À seize ans, il cessa de prier et d’aller à l’église[3]. Mais la foi n’était pas morte, elle couvait seulement :

Pourtant je croyais en quelque chose. En quoi ? Je ne pourrais le dire. Je croyais encore en Dieu, ou plutôt je ne le niais pas. Mais quel Dieu ? Je l’ignorais. Je ne niais pas non plus le Christ et sa doctrine ; mais en quoi consistait cette doctrine, je n’aurais su le dire[4].

Il était pris, par moments, de rêves de bonté. Il voulait vendre sa voiture, en donner l’argent aux pauvres, leur faire le sacrifice d’un dixième

  1. Adolescence, xix.
  2. Surtout dans ses premières œuvres, dans les Récits de Sébastopol.
  3. C’était le temps où il lisait Voltaire et y trouvait plaisir. (Confessions, i.)
  4. Confessions, i, trad. J.-W. Bienstock.