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la débâcle des armées russes, dans l’affreuse anarchie et la sanglante lutte de classes. Sa logique de rêve tire de la victoire du Japon cette conclusion étonnante que la Russie doit se désintéresser de toute guerre : car les peuples non chrétiens auront toujours l’avantage, à la guerre, sur les peuples chrétiens « qui ont franchi la phase de soumission servile ». — Est-ce abdication pour son peuple ? — Non, c’est orgueil suprême. La Russie doit se désintéresser de toute guerre, parce qu’elle doit accomplir « la grande révolution ».

Et voici que l’Évangéliste de Iasnaïa Poliana, ennemi de la violence, prophétise, sans s’en douter, la Révolution Communiste[1] !

La Révolution de 1905, qui affranchira les hommes de l’oppression brutale, doit commencer en Russie. — Elle commence.

Pourquoi la Russie doit-elle jouer ce rôle de peuple élu ? — Parce que la révolution nouvelle doit avant tout réparer « le grand Crime », la monopolisation du sol au profit de quelques milliers de riches, l’esclavage de millions d’hommes, le

  1. Dès 1865, Tolstoï écrivait ces paroles annonciatrices de la grande tourmente sociale :

    « La propriété, c’est le vol, reste, aussi longtemps qu’existe une humanité, une vérité plus grande que la Constitution anglaise… La mission historique de la Russie consiste en ce qu’elle apportera au monde l’idée de la socialisation de la terre. La Révolution russe ne peut être fondée que sur ce principe. Elle ne se fera point contre le tsar et contre le despotisme ; elle se fera contre la propriété du sol.