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aux socialistes, ce n’est pas, tant s’en faut, pour laisser le champ libre à l’autocratie ; c’est au contraire pour que la bataille se livre dans toute son ampleur entre le vieux monde et le monde nouveau, après qu’on aura éliminé de l’armée les éléments troubles et dangereux. Car lui aussi, il croit dans la Révolution. Mais sa Révolution a une bien autre envergure que celle des révolutionnaires : c’est celle d’un croyant mystique du moyen âge, qui attend pour le lendemain le règne du Saint-Esprit :

Je crois qu’à cette heure précise commence la grande révolution, qui se prépare depuis deux mille ans dans le monde chrétien, — la révolution qui substituera au christianisme corrompu et au régime de domination qui en découle le véritable christianisme, base de l’égalité entre les hommes et de la vraie liberté, à laquelle aspirent tous les êtres doués de raison[1].

Et quelle heure choisit-il, le voyant prophétique, pour annoncer la nouvelle ère de bonheur et d’amour ? L’heure la plus sombre de la Russie, l’heure des désastres et des hontes. Pouvoir superbe de la foi créatrice ! Tout est lumière autour d’elle, — jusqu’à la nuit. Tolstoï aperçoit dans la mort les signes du renouvellement, — dans les calamités de la guerre de Mandchourie, dans

  1. La Fin d’un Monde.