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ment aux anciens pouvoirs malfaisants, à l’Église persécutrice, à l’autocratie tsarienne. Peut-être même s’apaise-t-il un peu à leur égard, maintenant que tout le monde leur jette la pierre. On les connaît, elles ne sont plus si redoutables ! Et après tout, elles font leur métier, elles ne trompent pas. La lettre de Tolstoï au tsar Nicolas ii[1] est, dans sa vérité sans ménagements pour le souverain, pleine de douceur pour l’homme, qu’il appelle son « cher frère », qu’il prie de « lui pardonner s’il l’a chagriné sans le vouloir » ; et il signe : « Votre frère qui vous souhaite le véritable bonheur ».

Mais ce que Tolstoï pardonne le moins, ce qu’il dénonce avec virulence, ce sont les nouveaux mensonges, car les anciens sont percés à jour. Ce n’est pas le despotisme, c’est l’illusion de la liberté. Et l’on ne sait ce qu’il hait le plus, parmi les sectateurs de nouvelles idoles, des socialistes ou des « libéraux ».

Il avait pour les libéraux une antipathie de longue date. Tout de suite, il l’avait ressentie, quand, officier de Sébastopol, il s’était trouvé dans le cénacle des gens de lettres de Pétersbourg. C’avait été une des causes de son malentendu avec Tourgueniev. L’aristocrate orgueilleux, l’homme d’antique race, ne pouvait supporter ces intellectuels et leur prétention de faire, bon gré, mal gré, le bonheur de la nation, en lui imposant leurs

  1. Sur la nationalisation du sol (Voir le Grand Crime, 1905).