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l’aide fraternellement. Ivan Iliitch, « plein d’une pitié infinie pour lui-même », pleure son isolement et l’égoïsme des hommes ; il souffre horriblement, jusqu’au jour où il s’aperçoit que sa vie passée a été un mensonge, et que ce mensonge, il peut le réparer. Aussitôt, tout s’éclaire, — une heure avant sa mort. Il ne pense plus à lui, il pense aux siens, il s’apitoie sur eux ; il doit mourir et les débarrasser de lui.

— Ou es-tu donc, douleur ? — La voilà… Eh bien, tu n’as qu’à persister. — Et la mort, où est-elle ?… — Il ne la trouva plus. Au lieu de la mort, il y avait la lumière. — « C’est fini », dit quelqu’un. — Il entendit ces paroles et se les répéta. — « La mort n’existe plus », se dit-il.

Ce « rayon de lumière » ne se montre même plus dans la Sonate à Kreutzer[1]. C’est une œuvre féroce, lâchée contre la société, comme une bête blessée, qui se venge de ce qu’elle a souffert. N’oublions pas qu’elle est la confession d’une brute humaine, qui vient de tuer, et que le virus de la jalousie infecte. Tolstoï s’efface derrière son personnage. Et sans doute, on retrouve ses idées, montées de ton, dans ces invectives enragées contre l’hypocrisie générale : hypocrisie de l’éducation des femmes, de l’amour, du mariage — cette « prostitution domestique », — du monde, de la science,

  1. La première traduction exacte de cette œuvre en français a été publiée par M. J. W. Bienstock, dans le Mercure de France (mars et avril 1912).