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Mon opinion, écrit-il fièrement, est entièrement différente de celle qui s’est établie sur Shakespeare, dans tout le monde européen.

Dans sa hantise du mensonge, il le flaire partout ; et plus une idée est généralement répandue, plus il se hérisse contre elle ; il s’en défie, il y soupçonne, comme il dit à propos de la gloire de Shakespeare, « une de ces influences épidémiques qu’ont toujours subies les hommes. Telles, les Croisades du moyen âge, la croyance aux sorciers, la recherche de la pierre philosophale, la passion des tulipes. Les hommes ne voient la folie de ces influences qu’une fois qu’ils en sont débarrassés. Avec le développement de la presse, ces épidémies sont devenues particulièrement extraordinaires. » — Et il donne comme type le plus récent de ces maladies contagieuses l’Affaire Dreyfus, dont il parle, lui, l’ennemi de toutes les injustices, le défenseur de tous les opprimés, avec une indifférence dédaigneuse[1]. Exemple bien frappant des excès où peuvent l’entraîner sa méfiance du mensonge et cette répulsion instinctive contre « les épidémies morales », dont il

  1. « C’était là un de ces faits qui se produisent souvent, sans attirer l’attention de personne, ni intéresser — je ne dis pas l’univers — mais même le monde militaire français… »

    Et plus loin :

    « Il fallut quelques années, avant que les hommes s’éveillassent de leur hypnotisme et comprissent qu’ils ne pouvaient nullement savoir si Dreyfus était coupable ou non, et que chacun a d’autres intérêts plus importants et plus immédiats que l’Affaire Dreyfus. » (Shakespeare, trad. Bienstock, p. 116-118.)