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moindres, alors il faut les insulter de telle façon que le ciel en ait chaud, ou se moquer d’eux jusqu’à ce que le ventre en éclate[1].

Il ne s’en fait pas faute, dans ses écrits sur l’art. La partie négative — insultes et sarcasmes — y est d’une telle vigueur qu’elle est la seule qui ait frappé les artistes. Elle blessait trop violemment leurs superstitions et leurs susceptibilités pour qu’ils ne vissent point, dans l’ennemi de leur art, l’ennemi de tout art. Mais jamais la critique, chez Tolstoï, ne va sans la reconstruction. Jamais il ne détruit pour détruire, mais pour réédifier. Et dans sa modestie, il ne prétend même pas rien bâtir de nouveau ; il défend l’Art, qui fut et sera toujours, contre les faux artistes qui l’exploitent et qui le déshonorent :

La science véritable et l’art véritable ont toujours existé et existeront toujours ; il est impossible et inutile de les contester, m’écrivait-il, en 1887, dans une lettre qui devance de plus de dix ans sa fameuse Critique de l’Art[2]. Tout le mal d’aujourd’hui vient de ce que les gens soi-disant civilisés, ayant à leur côté les savants et les artistes, sont une

  1. 23 février 1860. Corresp. inédite, p. 19-20. — C’est en quoi l’art « mélancolique et dyspeptique » de Tourgueniev lui déplaisait.
  2. Cette lettre du 4 octobre 1887 a paru dans les Cahiers de la quinzaine, 1902, et dans la Correspondance inédite, 1907.

    Qu’est-ce que l’art ? parut en 1897-98 ; mais Tolstoï y pensait depuis quinze ans, soit depuis 1882.