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toi ! Il y a en toi quelque chose de si sage, de si bon, de si naïf, de si persévérant, tout cela éclairé par une lumière de compassion pour tous, et ce regard qui va droit à l’âme… Et cela n’appartient qu’à toi seul.

Ainsi, ces deux êtres qui s’aimaient, se torturaient l’un l’autre et se désolaient ensuite du mal qu’ils avaient pu faire, sans pouvoir l’empêcher. Situation sans issue, qui dura près de trente ans, et à laquelle, seule, devait mettre fin, dans une heure d’égarement, la fuite du vieux roi Lear, mourant, à travers la steppe.

On n’a pas assez remarqué l’appel émouvant aux femmes, qui termine Que devons-nous faire ? — Tolstoï n’a aucune sympathie pour le féminisme moderne[1]. Mais pour celle qu’il nomme « la femme-mère », pour celle qui connaît le vrai sens de la vie, il a des paroles d’adoration pieuse ; il fait un magnifique éloge de ses peines et de ses joies, de la grossesse et de la maternité, de ces souffrances terribles, de ces années sans repos, de ce travail invisible, épuisant, dont la femme n’attend la récompense de personne, et de cette béatitude qui inonde l’âme, au sortir de la douleur, quand elle a accompli la Loi. Il trace le portrait de l’épouse vaillante, qui est pour son mari une aide, non un obstacle. Elle sait que, « seul le sacrifice obscur, sans récompense,

  1. « Le prétendu droit des femmes est né et ne pouvait naître que dans une société d’hommes qui se sont écartés de la loi du vrai travail. Aucune femme d’ouvrier sérieux ne demande le droit de partager son travail dans les mines ou dans les champs. Elles ne demandent que le droit de participer au travail imaginaire de la classe riche. »