De dix ans, délicat, frêle, le teint jaunet,
Mais confiant, naïf, plein d’ardeur et de joie,
qui, dans un concert public, déjà
Se mesurait avec Beethoven et Mozart[1] ;
le jeune maître qui écrivait sa Première Symphonie à
seize ans ; — l’artiste pénétré de la science de Bach et de
Haendel, qui « écrirait à volonté une œuvre à la Rossini,
à la Verdi, à la Schumann, à la Wagner[2] », et
qui, en fait, a écrit des œuvres excellentes dans tous
les styles : en style grec, en style du xvie, du xviie et du xviiie siècle, — et dans tous les genres : messes, opéras,
opéras-comiques, cantates, symphonies, poèmes symphoniques,
musique pour orchestre, pour orgue, pour
piano, pour voix, musique de chambre ; — le savant
éditeur de Gluck et de Rameau ; — l’écrivain enfin qui
sut, non seulement être artiste, mais raisonner sur son
art, — nous apparaît comme une figure assez rare chez
nous, et dont la parenté se trouverait plus facilement en
Allemagne qu’en France.
Mais en Allemagne on ne s’y trompe point : dans ce pays, où le nom de Camille Saint-Saëns fut notre meilleur titre musical depuis Berlioz jusqu’à l’apparition de la jeune école de César Franck (Franck lui-même y est encore peu connu), M. Saint-Saëns est un représentant de l’esprit classique français. Il a, en effet, certaines des plus éminentes qualités françaises, et la première de toutes : la parfaite clarté. Il est remarquable comme cet artiste très instruit est peu gêné par sa science, libre de tout pédantisme, — ce pédantisme qui est la plaie de l’art allemand, et auquel les plus grands n’ont pas échappé, — je ne parle pas de Brahms, chez qui il sévit, mais des plus charmants