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CAMILLE SAINT-SAËNS


M. Saint-Saëns a la gloire très rare de se voir devenu, de son vivant, classique. Son nom, longtemps méconnu, s’est imposé au respect de tous, non moins par la dignité de son caractère que par la perfection de son art. Jamais artiste ne songea moins au public, ne fut plus indifférent à l’opinion de la foule et de l’élite. Enfant, il avait une sorte de dégoût physique du succès :


De l’applaudissement
J’entends encor le bruit qui, chose assez étrange,
Pour ma pudeur d’enfant était comme une fange
Dont le flot me venait toucher ; je redoutais
Son contact, et parfois, malin, je l’évitais,
Affectant la raideur[1]


Plus tard, ayant réussi à forcer la victoire, après une longue et pénible période, où il se heurtait à une critique stupide, qui le condamnait, « comme pénitence, à écouter une symphonie de Beethoven, cette audition devant être pour lui le plus atroce des supplices[2] », — après son entrée à l’Académie, après Henry VIII et la Symphonie avec orgue, il restait aussi détaché des éloges

  1. Vers lus par M. Saint-Saëns au concert donné le 10 juin 1896,
    à la salle Pleyel, pour fêter le cinquantenaire de ses débuts. C’est
    en 1846, et dans cette même salle Pleyel, qu’il avait donné son
    premier concert public.
  2. C. Saint-Saëns, Harmonie et Mélodie, 1885.