bien le dire — aussi médiocre d’un côté que de l’autre.
Où les railleries de Tolstoy s’attaquent justement, c’est non à l’œuvre de Wagner, mais à sa représentation. Toutes les splendeurs de la mise en scène n’en cachent point l’enfantillage ; et le dragon Fafner, les béliers de Fricka, l’ours, le serpent, et toute la ménagerie du Walhall, n’ont jamais cessé d’être ridicules. Je ferai seulement observer que Wagner n’a pas échoué à rendre le dragon effrayant, comme le dit Tolstoy : il ne l’a pas essayé. Il lui a donné volontairement, nettement, un caractère comique. Le texte et la musique font de Fafner une sorte d’ogre, bonhomme au fond, et surtout grotesque.
Au reste, je ne disconviens pas que la réalisation scénique ajoute moins qu’elle n’enlève à ces grandes féeries philosophiques. Mahvida von Meysenbug m’a raconté qu’aux fêtes de 1876, à Bayreuth, tandis qu’elle suivait attentivement dans sa lorgnette une scène du Ring, deux mains s’appuyèrent sur ses yeux, et la voix de Wagner lui dit, impatientée : « Ne regardez donc pas tant ! Écoutez ! » — Le conseil est bon. Il est des raffinés qui prétendent que la meilleure façon de goûter, au concert, une des dernières œuvres de Beethoven, dont la sonorité est défectueuse, c’est de se boucher les oreilles, et de lire la partition. On pourrait dire, avec moins de paradoxe, que la meilleure façon de suivre une représentation de Wagner, c’est de l’écouter, les yeux fermés. Si complète est la musique, si puissante est sa prise sur l’imagination, qu’elle ne laisse rien à désirer ; et ce qu’elle suggère à l’esprit est infiniment plus riche que tout ce que les yeux peuvent voir. Je n’ai jamais partagé l’opinion wagnérienne que l’œuvre de Wagner n’a tout son sens qu’au théâtre. Ce sont des symphonies épiques. Je leur voudrais pour cadre des temples, pour décors l’horizon illimité de notre pensée, et pour acteurs nos rêves.