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WAGNER

Se souvient-on de l’amusant récit fait par Tolstoy d’une représentation de Siegfried ?


Quand je suis arrivé, un acteur en maillot était assis devant un objet qui devait figurer une enclume ; il portait perruque et barbe postiche ; ses mains blanches, soignées, n’avaient rien de l’ouvrier ; l’air dégagé, le ventre proéminent et l’absence de muscles trahissaient facilement l’acteur. D’un marteau invraisemblable, il frappait, comme on n’a jamais frappé, un glaive non moins fantaisiste. On pouvait deviner qu’il était un nain, parce qu’il marchait en pliant les jambes aux genoux. II cria longuement, la bouche étrangement ouverte. L’orchestre émettait aussi des sons bizarres, des commencements sans suite. Puis un autre acteur parut, avec une corne en bandoulière, conduisant un homme travesti en ours et qui marchait à quatre pattes. Il lâcha l’ours sur le nain, qui se sauva, oubliant cette fois de plier les jambes. L’acteur à face humaine représentait le héros Siegfried. Il cria longtemps, et le nain lui répondit de même. Un pèlerin arriva : c’était le dieu Wotan. En perruque lui aussi, campé, avec sa lance, dans une pose niaise, il raconta à Mime ce que celui-ci n’ignorait pas, mais ce qu’on avait besoin de faire connaître au public. Puis Siegfried saisit les morceaux qui devaient représenter les débris de glaive, les forgea, et chanta : « Heaho, heaho, hoho ! Hoho, hoho, hoho, hoho ! Hoheo, haho, haheo, hoho ! » — et ce fut la fin du premier acte. — Tout cela était si faux, si stupide, que j’avais eu de la peine à rester assis jusqu’au bout et à ne pas m’en aller. Mais mes amis me prièrent de rester, m’assurant que le second acte serait meilleur.

La scène représente une forêt. Wotan réveille le dragon. D’abord le dragon dit : « Je veux dormir ». Puis il sort de la grotte. Le dragon est représenté par deux hommes


    du 15 janvier i854. — Je cite le plus souvent la correspondance de Wagner avec Liszt et avec Uhlig d’après la traduction de M. H. Lichtenberger, et la correspondance avec Roeckel d’après la traduction de M. Maurice Kufferath.