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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

où la vie cesse », a dit Wagner. Un homme d’action se plaît rarement aux œuvres d’art violentes. Borgia et Sforza patronnaient Léonard. Les hommes robustes et sanguins du xviie siècle, l’apoplectique cour de Versailles, où la lancette de Fagon joue un rôle si nécessaire, les généraux et les ministres qui dragonnaient les protestants et brûlaient le Palatinat, aimaient les pastorales. Napoléon pleurait à la lecture de Paul et Virginie, et se délectait de la musique clairette du pâle Paesiello. Un homme fatigué d’une vie trop active cherche le repos dans l’art ; un homme trop à l’étroit dans une vie médiocre cherche l’action dans l’art. Un grand artiste écrit presque fatalement une œuvre gaie, quand il est triste ; une œuvre triste, quand il est gai. La Symphonie à la joie de Beethoven est fille de la misère. Les Meistersinger de Wagner ont été composés immédiatement après l’écrasement de Tannhaüser à Paris. On s’évertue à chercher dans Tristan la trace d’une passion de Wagner, et Wagner dit lui-même : « Comme, dans toute mon existence, je n’ai jamais goûté vraiment le bonheur de l’amour, je veux à ce beau rêve élever un monument : j’ai dans la tête le plan d’un Tristan et Ysolde. » — Il en est de même pour l’heureux et insouciant Siegfried.

La première idée de Siegfried est contemporaine de la Révolution de 1848. On sait que Wagner y prit part avec la passion qu’il mettait à tout. Son biographe attitré, M. Houston Stewart Chamberlain, — celui qui, avec M. Henri Lichtenberger, a le mieux pénétré et expliqué cette âme aux mille replis, mais qui, moins complètement que M. Lichtenberger, a pu se dégager de certaines préoccupations apologétiques, qui troublent parfois l’impartialité de son jugement, — s’est donné beaucoup