tous les musiciens paraissent trop robustes[1] ». — Oh ! que c’est bien là peindre, du même coup, Wagner et son temps ! Qui ne reconnaîtrait la Tétralogie dans ces tableautins, vus à la loupe, délicatement léchés ; — et Wagner, dans cet élégiaque de salon, bellâtre et alangui ; — et les musiciens contemporains, dans cette réunion d’athlètes « trop robustes » ! — Le plaisant de ce jeu d’esprit, c’est qu’il a été pris au sérieux aujourd’hui par certains arbitres des élégances, trop heureux de contrecarrer, quelle qu’elle soit, l’opinion ordinaire.
Qu’il y ait dans Wagner une partie décadente, où s’accuse l’hypertrophie de la sensibilité, et, si l’on veut, l’hystérie et la névrose modernes, je n’en doute pas. Si elle n’y était point, il ne serait pas représentatif de son époque, comme tout grand artiste le doit être. Mais il y a bien autre chose en lui ; et si les femmes et les jeunes gens ne voient rien au delà, cela ne prouve que leur impossibilité de sortir d’eux-mêmes. Il y a beau temps que Wagner se plaignait à Liszt « que public et artistes ne sauraient entendre et comprendre que le côté le plus efféminé de son œuvre : ils n’en saisissent pas l’énergie ». — « Mes prétendus succès, dit-il ailleurs, ne reposent que sur des malentendus. Ma renommée publique ne vaut pas une coquille de noix. » — N’a-t-il pas été acclamé, patronné, accaparé, pendant un quart de siècle, par tous les décadents littéraires et artistiques de l’Europe ? Mais qui a vu en lui le musicien robuste, le classique, le successeur direct de Beethoven ? l’héritier de son génie héroïque et pastoral, de son souffle d’épopée, de sa métaphysique passionnée, de ses rythmes de bataille, de ses phrases napoléoniennes, aux allures de fanfares, aux grandes enjambées ?
Nulle part plus qu’en Siegfried. Déjà dans la Walküre,
- ↑ F. Nietzsche, le Cas Wagner, traduction Daniel Halévy et Robert Dreyfus, pp. 34 et 35.