WAGNER
Rien ne vaut le charme des premières impressions. Je me souviens du temps où j’entendais, enfant, pour la première fois, des fragments de Wagner chez le vieux Pasdeloup, au Cirque d’hiver. C’était quelque après-midi de dimanche brumeux et triste, à la lumière jaunâtre. On était saisi dès l’entrée par la chaleur accablante, l’étourdissement des lumières, le bourdonnement de la cohue. Les yeux étaient brûlés, la respiration étouffée, le corps tout entier à la gêne, écrasé dans un étroit espace, sur les banquettes de bois, entre d’épaisses murailles humaines. Mais, dès les premières notes, tout était oublié ; on tombait dans un état d’engourdissement douloureux et délicieux. Il se peut que la gêne rendît le plaisir plus aigu. Qui connaît l’ivresse d’une ascension de montagne sait combien elle est intimement unie à la fatigue même, à l’éclat intolérable du soleil, à l’oppression du souffle, aux âpres sensations qui réveillent et stimulent la vie, qui s’enfoncent dans le corps, et sculptent avec une précision ineffaçable le souvenir d’un moment. Le confort d’une salle de spectacle n’ajoute pas à l’illusion. Peut-être est-ce donc à l’incommodité parfaite des concerts d’autrefois que je dois d’avoir conservé si nette la mémoire de ma première rencontre avec l’œuvre de Wagner.