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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

N’importe ! Qu’il l’ait ou non voulu, il a ouvert à l’art de magnifiques chemins. Il a montré à la musique de la France la véritable route, où devait s’engager son génie, il lui a révélé ses destinées, méconnues jusqu’à lui. Il nous a donné une langue musicale d’une vérité psychologique et d’une souplesse admirables, une musique libre, affranchie des traditions étrangères, sortie du fond de notre race, modelée sur l’esprit français, répondant à son imagination précise, à son instinct pittoresque, à sa mobilité d’impressions, à son besoin extrême de nuances. Et il a jeté les fondements grandioses d’une musique nationale et populaire, pour la plus grande démocratie de l’Europe.

Ce sont là des mérites éclatants. Si Berlioz avait eu la raison d’un Wagner pour se rendre pleinement compte de la profondeur de son intuition, s’il avait eu la volonté d’un Wagner pour grouper en un tout indissoluble et pour coordonner les pensées directrices de son génie, j’ose dire qu’il eût fait en musique une révolution plus grande que celle de Wagner, qui fut plus fort, plus maître de lui, mais moins original qu’il ne semble et, au fond, le dernier d’un glorieux passé. — Cette révolution se fera-t-elle encore ? Peut-être ; mais retardée d’un demi-siècle. Berlioz estimait amèrement qu’on commencerait à comprendre ses intentions vers 1940[1]. Il se peut que cette prophétie ironique se réalise. La poussée de la jeune école française, ses efforts victorieux vers une langue plus libre semblent le faire espérer. Puisse-t-elle rendre hommage à ce grand précurseur ! Puisse-t-elle comprendre la témérité féconde de ce génie,

  1. « Ma carrière musicale finirait par devenir charmante, si je vivais seulement cent quarante ans. » (Mémoires, II, 390.)