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BERLIOZ

Comment de pareilles œuvres sont-elles négligées par notre démocratie, comment n’ont-elles pas leur place dans notre vie publique, comment ne sont-elles pas associées à nos grandes cérémonies ? — c’est ce qu’on se demanderait avec stupéfaction, si l’on n’était habitué, depuis un siècle, à l’indifférence de l’État à l’égard de l’art. Que n’aurait pu faire Berlioz, si les moyens lui en avaient été offerts, ou si une telle force avait trouvé son emploi dans les fêtes de la Révolution !

Il faut ajouter, malheureusement, qu’ici encore, son caractère fut l’ennemi de son génie, et que, de même que cet initiateur de la libre musique semble, dans la seconde moitié de sa vie, avoir peur de lui-même, reculer devant les conséquences de ses principes, retourner au classique, — de même ce révolutionnaire tombe dans le dénigrement maussade du peuple et des révolutions, du « choléra républicain », de « la sale et stupide république », « république de crocheteurs et de chiffonniers », » infâme racaille humaine, plus stupide et plus féroce cent fois, dans ses soubresauts et ses grimaces révolutionnaires, que les babouins et les orangs-outangs de Bornéo[1] ! » L’ingrat ! Il devait à ces révolutions, à ces démocraties orageuses, à ces tourmentes humaines, le meilleur de son génie, et il les reniait ! Il était le musicien des temps nouveaux, et il revenait au passé !

  1. Mémoires, I, 43. — Berlioz n’a cessé d’invectiver contre la Révolution de 1848, qu’il aurait pu si bien comprendre. Au lieu de tirer parti, comme Wagner, de la surexcitation de cette époque, pour écrire des œuvres passionnées, il travaille à l’Enfance du Christ. Il affecte l’indifférence absolue ; et il était si peu fait pour l’indifférence ! — Il applaudit au coup d’État, et méprise les idéologues.