signalais, plus haut, le danger qu’il y aurait à accepter trop docilement les interprétations allemandes de Berlioz. Des hommes comme Weingartner, Richard Strauss, ou Mottl, musiciens de race, devaient apprécier plus que d’autres, sans doute, et à coup sûr, plus tôt que nous, le génie musical de Berlioz. Je me défie un peu de leur façon de sentir une âme aussi différente de la leur. C’est à nous, c’est à chacun de nous, à apprendre à lire cette pensée, si intimement nôtre, si libre, et qui nous délivrera.
L’autre grande originalité de Berlioz, c’est d’avoir eu l’instinct de la musique qui convenait aux jeunes démocraties, aux masses populaires, récemment élevées à la souveraineté. En dépit de son dédain aristocratique, il avait l’âme populaire. M. Hippeau lui applique la définition que Taine a donnée de l’artiste romantique : « le plébéien de race neuve, richement doué de facultés et de désirs, qui, pour la première fois arrivé aux sommets du monde, étale avec fracas le trouble de son esprit et de son cœur ». Il grandit au milieu des récits de l’épopée impériale, et au milieu des révolutions. Il écrit sa cantate pour le prix de Rome, en juillet 1830, « au bruit sec et mat des balles perdues, qui, décrivant une parabole au-dessus des toits, venaient s’aplatir près de ses fenêtres contre la muraille[1] ». Après l’avoir finie, il va « polissonner dans Paris, le pistolet au poing, avec la sainte canaille ». Il chante et fait chanter la Marseillaise au peuple, à « tout ce qui a une voix, un cœur, et du sang dans les veines[2] ! »