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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

mence une nouvelle, et l’on trouve en son art toute l’ardeur téméraire et gracieuse de la jeunesse. La loi d’airain qui pèse sur l’art de Wagner n’existe pas dans les premières œuvres de Berlioz. Elles donnent l’illusion de la liberté parfaite[1].

Dès qu’on saisit l’originalité profonde de cette musique, on s’explique qu’elle ait rencontré, et rencontre encore tant de sourde hostilité. Que d’excellents musiciens, d’esprits distingués et dociles, respectueux de toute tradition artistique, sont incapables de comprendre Berlioz, parce qu’ils ne peuvent supporter l’air de la liberté que l’on respire en lui ! Ils sont si habitués à penser à l’allemande que la langue de Berlioz les déroute ou les choque. Je le crois bien ! C’est la première fois peut-être qu’un grand musicien français ose penser en français ! — Et c’est pour cette raison que je

  1. Il faut dire ici un mot des pauvretés et des maladresses harmoniques, d’ailleurs incontestables, de Berlioz, puisque certains critiques et compositeurs n’ont pas craint — (dirai-je le ridicule ? — Wagner le dira pour moi) — de ne voir dans ce génie que les « fautes d’orthographe ». À ces terribles grammairiens, qui n’eussent pas manqué, il y a deux siècles, de faire le procès de Molière, à cause de son « jargon », je répondrai par le jugement de Schumann : « Les harmonies de Berlioz, malgré la diversité des combinaisons qu’il obtient avec peu d’éléments, se distinguent par une sorte de simplicité et même par une solidité et une concision que l’on ne rencontre que chez Beethoven… Cependant on trouve, çà et là, des harmonies vulgaires et triviales, d’autres qui sont fautives, — du moins d’après les anciennes règles. Quelques-unes, toutefois, sont d’un effet magnifique. Ailleurs, ce sont des harmonies vagues et indéterminées, ou qui sonnent mal, qui sont tourmentées, cherchées. Et pourtant, chez Berlioz, tout cela prend un certain air. Qu’on essaie donc de le corriger, ou seulement d’y faire une modification quelconque, — pour un harmoniste exercé ce sera un jeu, — et l’on verra combien cela deviendra terne ! » (Article sur la Symphonie fantastique.) — Mais laissons cette « discussion grammaticale », ainsi que l’écrit Wagner, et « la question puérile de savoir s’il est permis ou non de faire du néologisme en matière d’harmonie ou de mélodie ». (Wagner à Berlioz, 22 février 1860.) — Comme dit encore Schumann, « cherchez les quintes, et laissez-nous en paix ! »