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BERLIOZ

Roméo et la Fête des Capulet, où une volonté à la Wagner déchaîne et maîtrise des tourbillons de passion et de joie. Prenez les pages les moins connues, comme le Scherzetto chanté de la reine Mab, ou le Réveil de Juliette et la mort des deux amants[1]. Dans l’une, quelle légèreté spirituelle, dans l’autre, quel frémissement passionné, et dans toutes deux, quelle liberté et quelle justesse expressive ! C’est une langue magnifique, d’une sobriété et d’une clarté merveilleuses : pas un mot de trop, et pas un mot qui ne peigne d’une touche infaillible. Au reste, dans presque toutes les grandes œuvres de Berlioz, avant 1845 (je veux dire jusqu’à la Damnation), vous trouverez cette précision nerveuse, cette exactitude passionnée, cette liberté toute-puissante.

Liberté de rythmes d’abord. Schumann, qui fut de tous les grands musiciens de son temps le plus près de Berlioz, le plus digne de le comprendre, en avait été frappé dès la Symphonie fantastique[2]. Il écrit que « l’époque moderne n’a assurément pas produit une œuvre, dans laquelle les mesures et les rythmes égaux, combinés avec les mesures et les rythmes inégaux, aient été employés plus librement. Rarement la seconde partie d’une phrase y correspond au premier membre, la réponse à la demande. Cette anomalie est caractéristique chez Berlioz, conforme à sa nature méridionale. » Loin de la combattre, Schumann y voit une nécessité de l’évolution musicale : « Il semble que la musique ait une

  1. « Ce morceau contient une dose de sublime beaucoup trop forte pour la moyenne du public ; aussi Berlioz, avec la magnifique insolence du génie, conseille-t-il au chef d’orchestre, dans une note, de tourner la feuille et de le passer. » (Georges de Massougnes, Berlioz.)

    La noble et hautaine étude de G. de Massougnes parut en 1870, — très en avance sur son temps.

  2. « Oh ! comme j’honore, comme j’aime, comme je vénère Schumann, ne serait-ce que pour avoir écrit ce seul article. » (Hugo Wolf, 1884.)