Œuvre vraiment extraordinaire. « Île merveilleuse, où s’élève le temple de l’art pur[1]. » Pour ma part, non seulement je l’égale aux plus puissantes créations wagnériennes, mais je la crois plus féconde en enseignements et en ressources pour l’art, — ressources et enseignements dont l’art français contemporain n’a pas encore tiré tout le parti possible. On sait que, depuis quelques années, la jeune école française fait effort pour délivrer notre musique des modèles germaniques, pour créer une langue récitative qui nous soit propre et que n’écrase plus le Leitmotiv, une langue plus exacte et moins lourde, qui, pour rendre le libre sentiment moderne, n’ait pas toujours recours aux procédés d’expression (et de pensée) classiques ou wagnériens. Naguère, la Schola Cantorum publiait un manifeste où elle proclamait « la liberté de la phrase musicale,… le discours libre dans la musique libre,… le triomphe de la musique naturelle, libre et mouvante comme le discours, plastique et rythmique comme la danse antique », — lançant ainsi une déclaration de guerre à l’art métrique des trois derniers siècles[2]. — Cette musique, la voici ! Vous n’en trouverez nulle part un modèle plus accompli. Il est vrai que beaucoup de ceux qui professent ces principes répudient ce modèle, et ne cachent pas leur dédain pour Berlioz. C’est ce qui m’inspire quelque doute, je l’avoue, sur l’efficacité de leurs efforts. Je crains qu’il n’y ait plus d’archaïsme que de vie véritable dans leur prétention à la « libre musique », s’ils ne sentent pas la liberté merveilleuse de celle-ci, voile transparent et souple d’une âme passionnément vivante. Étudiez, je ne dis pas seulement les pages les plus célèbres de l’œuvre, comme la Scène d’amour (de tous les morceaux de Berlioz celui qu’il préférait lui-même[3]), ou comme la Tristesse de