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BERLIOZ

pour Berlioz d’accroître toujours davantage le pouvoir d’expression de la musique pure. Et tandis que Wagner, beaucoup plus modéré et plus traditionnel, cherche à établir un compromis (peut-être impossible) entre la musique et la parole, et à créer le nouveau drame lyrique, Berlioz, bien plus révolutionnaire, arrive à la symphonie dramatique, dont le modèle inégalé reste encore aujourd’hui Roméo et Juliette.

La symphonie dramatique s’est heurtée naturellement à tous les pédantismes. On lui oppose deux thèses : l’une, reçue de Bayreuth, et devenue acte de foi ; l’autre, opinion courante, acceptée paresseusement de la foule innombrable qui parle de la musique sans la connaître.

La première thèse, imposée par Wagner, c’est que la musique ne saurait exprimer l’action sans le secours de la parole et du geste. C’est au nom de cet arrêt que tant de gens condamnent a priori le Roméo de Berlioz. Ils trouvent enfantin de traduire une action en musique. — Croient-ils donc moins enfantin de représenter une action en musique ? Pensent-ils que le geste s’accorde très heureusement avec la musique ? — Qu’ils tâchent de s’arracher à l’énorme mensonge qui pèse sur nous depuis trois siècles ! Qu’ils ouvrent les yeux, et qu’ils voient — ce qu’ont vu de grands hommes au regard pur, comme Rousseau et Tolstoï — la niaiserie de l’opéra ! Qu’ils découvrent la monstruosité du spectacle de Bayreuth ! — Il est, au second acte de Tristan, une page célèbre, où Ysolde, attendant Tristan, et brûlante de désirs, le voit venir enfin, et de loin lui fait signe avec son écharpe, sur un dessin plusieurs fois répété de


    Désespérant sans doute d’arriver à obtenir cette obéissance, Mozart avait pensé sérieusement à briser la forme de l’opéra, et à le remplacer, dès 1178 (comme Rousseau en avait donné l’exemple, dès 1773), par une sorte de mélodrame, qu’il appelle duodrama, où la musique et la poésie iraient, libres l’une de l’autre, librement associées, par deux chemins parallèles. (Lettre du 12 novembre 1778.)