Et il s’agit surtout de l’émanciper de la domination de la parole ; il faut la relever de son rôle humilié au service de la poésie :
Je suis pour la musique libre. Oui, libre et fière, et souveraine et conquérante, je veux qu’elle prenne tout, qu’elle s’assimile tout, qu’il n’y ait plus pour elle ni Alpes ni Pyrénées ; mais, pour ses conquêtes, il faut qu’elle combatte en personne, et non par ses lieutenants. Je veux bien qu’elle ait, s’il se peut, de bons vers rangés en bataille ; mais il faut qu’elle aille elle-même au feu comme Napoléon, qu’elle marche au premier rang de la phalange, comme Alexandre. Elle est si puissante, qu’elle vaincrait seule en certains cas, et qu’elle a mille fois le droit de dire comme Médée : « Moi seule, et c’est assez[1] ! »
Berlioz proteste énergiquement contre « la théorie impie de Gluck[2] », et le « crime « de Wagner, qui asservissent la musique à la parole. La musique est la poésie suprême, et ne reconnaît point de maître[3]. Il s’agit donc
- ↑ À la princesse de Wittgenstein, 12 août 1856.
- ↑ Est-il besoin de rappeler l’épître dédicatoire d’Alceste, en 1769, et la déclaration de Gluck, qu’il « chercha à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie, pour fortifier l’expression des sentiments et l’intérêt des situations… et d’y ajouter ce qu’ajoute à un dessin correct et bien composé la vivacité des couleurs et l’accord heureux des lumières et des ombres… »
- ↑ Cette théorie révolutionnaire était déjà celle de Mozart : « La musique doit régner en souveraine, et faire oublier tout le reste… Dans un opéra, il faut absolument que la poésie soit la fille obéissante de la musique. » (Lettre à son père du 13 octobre 1781.) —
de l’ouïe, imposent de nouvelles tentatives, et même, dans certains cas, l’infraction des anciennes lois. — Diverses formes sont par trop usées pour être encore admises. — Tout est bon, d’ailleurs, ou tout est mauvais, suivant l’usage qu’on en fait, et la raison qui en amène l’usage… Le son et la sonorité sont au-dessous de l’idée. L’idée est au-dessous du sentiment et de la passion. » (Profession de foi de Berlioz à propos des concerts de Wagner à Paris, en 1860. À travers chants, 312.)
Comparer le mot de Beethoven :
« Il n’y a pas de règle qu’on ne peut blesser à cause de : Schöner (plus beau). »