ait fait un effort puissant pour libérer la musique française : c’est Rameau ; et, en dépit de son génie musical, il fut vaincu par l’art italien[1] — Par la force des choses, la musique française se trouva donc livrée aux formes musicales étrangères. Et, de même que l’Allemagne du XVIIIe siècle s’évertuait à imiter nos formes architecturales ou littéraires, la France du xixe siècle prit l’habitude de parler allemand en musique. Or, comme la plupart des hommes ne pensent qu’autant qu’ils parlent, la pensée même est devenue allemande : il faut un grand effort pour retrouver maintenant, sous ce mensonge traditionnel, la forme sincère et spontanée de la pensée musicale française.
Le génie de Berlioz, d’instinct, la retrouva. Dès ses premières œuvres, il s’appliqua à dégager notre musique du poids énorme de cette tradition étrangère, qui l’étouffe[2].
Tout le disposait à ce rôle, et jusqu’à ses défauts et à ses ignorances même. Son éducation musicale historique était incomplète. M. Saint-Saëns nous dit que
- ↑ Je ne parle pas des maîtres franco-flamands de la fin du xvie siècle, des Jannequin, des Costeley, des Claude le Jeune, des Mauduit, qu’a retrouvés récemment M. Henry Expert, et qui ont un parfum si original : ils sont restés presque totalement inconnus, depuis leur époque jusqu’à nos jours. Les guerres de religion ont brisé la tradition musicale de la France, et ruiné en partie la grandeur de son art.
- ↑ Il est plaisant de voir Wagner opposer à Berlioz, comme type de la véritable musique française, Auber, et son opéra mâtiné d’italien et d’allemand. Cela montre à quel point Wagner, comme la plupart des Allemands, est incapable de saisir l’originalité réelle de la musique française, et n’en voit que les côtés les plus extérieurs. Si l’on veut se rendre compte de la personnalité musicale d’un peuple, en ce qu’elle a de plus intime, le meilleur moyen est d’étudier ses chansons populaires. Quand on se livrera à ce travail sur les nôtres (la matière ne manque pas), on reconnaîtra peut-être combien elles diffèrent profondément des chansons populaires allemandes, et comme le tempérament de la race s’y révèle, plus libre, plus souple, plus nerveux, plus nuancé.