Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
BERLIOZ

que depuis la victoire de Wagner. Alors régna sur la musique du monde l’énorme période allemande, ce monstre aux mille bras, aux mille tronçons soudés entre eux, indéfiniment extensibles, et pouvant embrasser des pages, des scènes, des actes, des drames entiers, d’une seule tenue. Qui de nous pourrait admettre qu’un Français cherchât à écrire selon la phrase de Schiller et de Gœthe ? C’est pourtant ce que nous avons essayé, ce que nous essayons encore de faire en musique. — Comment s’en étonner ? Parlons franc : nous n’avons pas en musique, pour ainsi dire, de maîtres de style français. Tous nos plus grands compositeurs sont des étrangers. Le fondateur du premier opéra français, Lulli, était Florentin. Le fondateur du second opéra français, Gluck, était Allemand. Les fondateurs du troisième opéra français, Rossini et Meyerbeer, étaient Italien et Allemand. Les créateurs de l’opéra-comique étaient, l’un, Italien : Duni ; l’autre, Belge : Grétry. Franck, qui a transformé notre école contemporaine, était Belge, lui aussi. Je ne cite que les plus grands. Ces hommes nous ont apporté le style de leur race, ou bien ils ont tâché de fonder, comme fit Gluck, un « style international[1] », où ils ont effacé les caractéristiques les plus individuelles de notre esprit. Le genre le plus français, l’opéra-comique, œuvre de deux étrangers, doit beaucoup plus à l’opera buffa italien qu’on ne l’a dit ; et, en tout cas, il ne représente que très insuffisamment la race. Les esprits les plus modérés, qui ont tenté de se dégager des influences italiennes ou allemandes, n’ont abouti le plus souvent qu’à créer un style intermédiaire, italo-germanique, dont le type est l’opéra, d’Auber à Ambroise Thomas. En vérité, il n’y a qu’un maître de premier ordre, avant Berlioz, qui

  1. Gluck l’a dit lui-même, dans une lettre au Mercure de France de février 1773.