sale de Berlioz est au service d’une âme tendre et plaintive : rien de l’héroïsme de Beethoven, de Hændel, de Gluck même de Schubert. Une suavité de peintre ombrien (Enfance du Christ), une tristesse intime, le don des larmes, une douceur, une douleur élégiaques.
Mais je veux arriver à l’originalité profonde de Berlioz, à celle dont on ne parle guère, et qui lait de lui pourtant bien plus qu’un grand musicien, bien plus que le successeur de Beethoven, ou le précurseur de Wagner, comme on a pu le nommer, mais, à plus juste titre que Wagner lui-même, le créateur d’un « art de l’avenir », l’initiateur d’une musique nouvelle, qui commence à peine à poindre aujourd’hui.
Cette originalité est double. Par la complexité singulière de son génie, Berlioz touche aux deux pôles opposés de l’art, et il a ouvert à la musique deux routes absolument différentes : celle du grand art populaire, et celle de la musique libre.
Nous sommes tous asservis par la tradition musicale du passé. Depuis des générations, nous sommes si habitués à porter ce joug, que nous ne le remarquons même plus. Et, par suite de la mainmise de l’Allemagne sur la musique, depuis la fin du xviiie siècle, cette tradition, qui avait été surtout italienne pendant les deux siècles précédents, est devenue presque entièrement allemande. Nous pensons dans des formes germaniques. La coupe des phrases, leur développement, leur logique, leur équilibre, toute la rhétorique musicale, la grammaire de la composition, nous vient d’une pensée étrangère, lentement élaborée par les maîtres allemands. Jamais cette domination ne fut plus complète et plus lourde,