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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

d’une race plus aristocratique, d’une sobriété hautaine d’âme et de gestes, qu’un Sophocle eût aimée,

On ne met pas assez en lumière cette noblesse antique à laquelle s’élève constamment, sans effort, l’art de Berlioz. On ne voit pas assez qu’il fut de tous les musiciens du xixe siècle celui qui eut au plus haut degré le sens de la beauté plastique. — Mais reconnaît-on davantage qu’il fut un des mélodistes les plus suaves et les plus abondants ? Weingartner a exprimé quelque part la surprise qu’il éprouva, quand, imbu des préjugés courants contre le manque d’invention mélodique de Berlioz, il ouvrit au hasard une de ses partitions : l’ouverture de Benvenuto, et, dans ce court morceau, qui dure dix minutes à peine, trouva non pas une, non pas deux, mais trois, mais quatre, mais cinq mélodies, d’une invention et d’une richesse admirables :


Je me mis alors à rire, à la fois de plaisir pour avoir découvert un tel trésor, et de fureur à constater l’étroitesse du jugement humain ! J’en étais déjà à compter cinq grands thèmes, tous plastiques, de physionomie personnelle, d’un travail admirable, variés dans leur forme, s’élevant par degrés jusqu’à leur point culminant, pour finir en une conclusion d’effet intense. Et voilà l’aspect que présentait aux yeux des critiques et du public le compositeur dit dépourvu d’invention ! — De ce jour, il y eut pour moi un grand citoyen de plus dans la république de l’art[1].


Déjà Berlioz avait écrit, en 1864 :


Il est aisé de se convaincre que, sans même me borner à prendre une mélodie très courte pour thème d’un morceau, comme l’ont fait souvent les plus grands maîtres, j’ai toujours soin de mettre un vrai luxe mélodique dans mes compositions. On peut parfaitement contester la valeur de ces mélodies, leur distinction, leur nouveauté, leur charme ; ce n’est pas à moi qu’il appartient de les apprécier ; mais nier leur existence, c’est mauvaise foi ou

  1. Guide musical, 29 novembre 1903. Trad. Alekan.